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Entretien
Culture

Mathias Enard, Prix Goncourt 2015, invité du Grand entretien

Festival littéraire Le Goût des Autres 2016

Mathias Enard, Prix Goncourt 2015 avec Boussole, est l'invité d'un des Grands entretiens du Festival littéraire Le Goût des Autres - samedi 23 janvier à 14 h au Magic Mirrors. Entretien.

  • lehavre.fr : Pourquoi avoir choisi la musique, pour parler de l'Orient, votre personnage principal étant un musicologue ?

Mathias Enard : Peut être parce que de tout le volant orientaliste, c'est sans doute l'aspect qui est le moins connu. On a tous en tête ce qu'est l'orientalisme en peinture, en littérature... On a tous une image que ce soit des bains turcs d'Ingres ou d'Aziyadé de Pierre Loti. En revanche, pour la musique, c'est moins le cas. Ca m'intéressait de remettre à jour ces relations musicales entre l'Est et l'Ouest. Et ensuite parce que la musique est un mode de l'expression tout à fait intéressant au sens où il n'y a pas besoin de traduction, un peu comme la peinture. Quelque chose d'a priori saisissable immédiatement. On a tout de même besoin, même si ce n'est pas une traduction, d'une certaine initiation pour entendre réellement des musiques de traditions différentes, "européennes" ou "orientales".

  • lehavre.fr : Comment avez-vous préparé l'écriture de cet ouvrage ? Aviez-vous déjà des connaissances en la matière ?

M.E. : J'avais déjà des connaissances au sens où l'orientalisme et l'histoire de l'orientalisme font partie de mes centres d'intérêt depuis très longtemps. Mais évidemment, il y a des choses que j'ai recherché précisément pour le livre. Comme notamment toute cette partie sur l'orientalisme en musique. Même si j'ai toujours été passionné de musique, ce n'est pas forcément quelque chose que je connaissais. Je m'y suis plongé pour Boussole.

  • lehavre.fr : Vos deux personnages principaux, Frantz et Sarah, ont des caractères différents. L'un est très voyageur, l'autre un peu moins. Lequel vous serait le plus familier ?

M.E. : Je suis un peu des deux, en quelque sorte. Il y a un peu de moi dans les deux. Ce sont aussi des personnages de fiction qui par ailleurs n'ont rien à voir avec moi. Mais je leur prête un peu mes voyages, en tout cas les endroits que je connais comme Alep ou Téhéran ou Palmyre, et aussi certaines réflexions qui sont miennes parfois dans la bouche de l'un et dans la bouche de l'autre. Au-delà de cela, ce sont vraiment des constructions de fiction.

  • lehavre.fr : Le thème de l'altérité est celui du festival Le Goût des Autres. Il en est question en permanence dans Boussole. Est-ce une forme de philosophie de vie dans la manière d'aborder votre environnement et les autres ?

M.E. : Je pense qu'il y a quelque chose de lévinassien, peut être une prolongation dans la pratique de l'œuvre de Levinas (ndlr : la philosophie de Levinas est centrée sur la question éthique et métaphysique d'autrui). Mais surtout aussi une réflexion qui vient de loin, au sens où cela fait longtemps que je réfléchis à ces questions de l'autre, de l'autre en soi, de la limite et la frontière entre l'autre et soi. C'est pour moi un thème très intéressant, très important.

  • lehavre.fr : Vous avez reçu le Goncourt 2015 pour Boussole. Comment avez-vous vécu l'attribution de cette récompense ?

M.E. : Nous étions sur la dernière liste, on savait qu'on avait une chance sur quatre ! Faire partie de la dernière sélection m'était déjà arrivé deux fois par le passé. Ce n'était donc pas une première, mais malgré cela, c'est toujours une grande surprise. On l'apprend en même temps que tout le monde : on ne vous appelle pas avant. Nous étions avec mon éditeur et tous les collaborateurs de la maison d'édition (Actes Sud) à Paris et puis nous avons vu Didier Decoin (ndlr : Secrétaire général de l'Académie Goncourt) descendre les marches de Chez Drouan, et voilà !

  • lehavre.fr : Il y a beaucoup de parallèles entre votre ouvrage et ce qui se passe dans l'actualité mondiale. Pensez-vous que cela contribue au succès de Boussole ?

M.E. : Cela joue au sens où il y a un intérêt pour les choses du Moyen-Orient qui se créée. Le fait que dans la rentrée littéraire, il y avait beaucoup de livres qui s'intéressaient justement à ce sujet-là. C'est quelque chose qui était dans l'air, car cela correspond à l'intérêt des gens en ce moment.

  • lehavre.fr : Est-ce que l'art - la musique - est pour vous la meilleure porte d'entrée pour parler de géopolitique ?

M.E. : Ce n'est pas forcément une porte d'entrée, parler de musique est quelque chose en soi. Justement, je pense que c'est une des parties aussi très importantes de nos relations avec l'Orient qui ne sont pas exclusivement politiques ou militaires ou de domination. Cela rappelle l'existence de nos relations avec l'Orient d'une autre manière et témoigne de ces échanges depuis très longtemps.

  • lehavre.fr : Possédez-vous cette fameuse boussole de farce et attrapes qui n'indique pas le Nord mais l'Est ?

M.E. : Elle n'existe pas, mais il faudrait l'inventer...