L'Appartement témoin Auguste Perret
© Philippe Bréard
Le souffle des années 50
Un appartement au design des années 50 est reconstitué au premier étage d’un immeuble sans affectation individuelle ou immédiate (ISAI), conçu par l’atelier Perret à partir de 1946. Cet appartement permet de découvrir les aménagements proposés par l’atelier pour reloger les habitants au lendemain de la guerre : double orientation, ensoleillement optimal, cuisine et salle de bains intégrées, vide-ordures, chauffage collectif à air pulsé. Le mobilier choisi fait référence aux aménagements des appartements types présentés pendant la reconstruction (entre 1945 et 1955) et destinés aux sinistrés havrais. Du style de René Gabriel à celui de Marcel Gascoin, en passant par André Beaudoin, l’origine des Trente Glorieuses est ici relatée à travers les objets du quotidien : réfrigérateur, gazinière, auto-cuiseur, aspirateur, lave-linge mais aussi tourne-disque, machine à écrire, vêtements, journaux et revues plongent le visiteur dans une époque ayant nourri le style de vie que nous connaissons aujourd’hui.
© Philippe Bréard
Un idéal d'habitat
L’appartement témoin Perret, remis en l’état d’origine, est conforme aux plans et aménagements présentés par Auguste Perret à Paris en 1947 puis au Havre en 1949. Hormis le travail de reconstitution à l’identique, une véritable enquête fut menée, les intérieurs reconstruits n’ayant pas fait jusqu’alors l’objet d’étude spécifique.
En matière de mobilier, plusieurs figures emblématiques meublent l'appartement témoin. René Gabriel (1890-1950), précurseur du "meuble de série", est un décorateur atypique dont l'approche spécifique du meuble de série débute entre 1935 et 1938. Ses modèles, composés d’éléments en bois supportés par une structure tubulaire métallique, préfigurent les meubles superposables et juxtaposables. En 1945, il s'oriente vers le mobilier pour sinistrés. La simplicité "artisanale" qui le caractérise évoque les principes constructifs architecturaux qui allient économie et solidité. Il n’est donc pas surprenant qu’Auguste Perret fasse appel à lui en 1946 pour concevoir le mobilier de l’appartement-type du Havre. Ce sens du "juste milieu" permet à Gabriel de s’imposer et d’organiser avec Jean Fressinet une nouvelle section du Salon des arts ménagers consacrée à l’art et la série dans le meuble en 1948 : une date qui marque l’institutionnalisation des principes du design en France. Dès lors, l’influence de René Gabriel et sa conception particulière de la série s’étendent à de nombreux créateurs et aux ensembliers, comme André Beaudoin au Havre.
Marcel Gascoin (1907-1986) devient le maître d’un style IVe République et se manifeste quant à lui dans les milieux avant-gardistes. Cet enfant du Havre dit avoir trouvé dans le mobilier de bateaux l’adéquation parfaite du contenant au contenu. Quand le Salon des arts ménagers commence à s’orienter vers l’idée d’une production en série de meubles modernes en 1937, Gascoin se singularise en proposant des étagères et des systèmes de rangements d’une qualité exceptionnelle. Tout en trouvant des solutions adaptées à tous les budgets, Marcel Gascoin acquiert une solide réputation de rationaliste et trouve l'une de ses spécialités dans l’économie de place par la combinaison de plusieurs fonctions dans un même meuble. Il invente un bureau d’enfant servant à la fois de casier de rangement, de pupitre et de tableau noir, des tabourets réglables en fonction de l’âge, des tables de repas devenant bridge par rotation…
© Philippe Bréard
Un logement témoin, véritable précurseur moderne
Alors que s’amorcent les travaux de reconstruction, des logements témoins ouvrent leurs portes afin de montrer ce que sera l’habitation de demain. L’Appartement témoin vous invite à replonger dans l’instant où s’invente le confort moderne, dévoilant l’ambition d’Auguste Perret d’offrir aux habitants du Havre le droit au calme, au soleil, à l’air et à l’espace en réalisant « quelque chose de neuf et de durable ». En entrant, vous explorez un espace de vie qui s’impose après-guerre lorsque se diffusent des pièces d’habitation jusqu’ici méconnues : la salle de séjour, la chambre-école, ou la cuisine-laboratoire conçue pour « en finir avec l’esclavage domestique des femmes » grâce à un équipement intégré fabriqué en grande série.
Calculé pour minimiser façades et chauffage anticipant la conception des bâtiments à énergie positive, les dimensions traduisent un équilibre entre l’étroitesse incommode des petits appartements et le luxe des grandes surfaces nécessitant une aide domestiques.
Rationnel, économique et conçu pour optimiser la lumière naturelle dans les pièces dites de long séjour (salle, cuisine, chambres), le plan intérieur obéit également aux désirs des Français en matière d’habitation mais il reste suffisamment flexible pour s’adapter aux changements – répondant ainsi à la diversité des besoins et à l’impératif de durabilité.
La salle de séjour, « grande pièce commune où tient toute la vie familiale », est dotée de portes et cloisons coulissantes permettant d’adjoindre ou d’isoler les pièces adjacentes. Cette modularité voulue par Auguste Perret est rendue possible par le positionnement des gaines et le système poteau-poutre limitant la structure porteuse à la seule colonne de l’entrée.
© Philippe Bréard
Un musée du quotidien
Ce micromusée, aménagé dans les moindres détails, vous offre également l’occasion de pénétrer dans la vie quotidienne au début des années 1950. Peuplé d’une multitude d’objets qui vont bouleverser les gestes de tous les jours, le lieu relate le basculement de l’idéal du confort moderne vers la société de consommation…
Aux côtés des enfants du baby-boom qui voient les jouets se multiplier dans leur chambre, les parents s’initient à la diffusion des marques : vaisselle Duralex, cuiseur Autothermos, yaourtière Yalacta ; les plus favorisés pouvant déjà s’offrir quelques équipements ménagers comme le réfrigérateur Frigidaire, l’aspirateur Tornado, la cireuse ou la machine à laver…