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Entretien
Education

"Parler à deux un langage permettant aux ados de se reconnaître"

Isabelle Filliozat, psychologue et psychothérapeute, invitée de la 2e édition de la Semaine de la parentalité

Auteure de Sexpérience, les réponses aux questions des ados, Isabelle Filliozat, psychologue et psychothérapeute, est l’invitée de la 2e édition de la Semaine de la parentalité au Havre. Mardi 26 novembre à 19 h au Théâtre de l’Hôtel de Ville (entrée libre), elle animera avec sa fille Margot Fried-Filliozat, co-auteure du livre, une conférence sur le thème Les ados : écrans, sexe et questionnements. Ensemble, elles évoqueront les sujets qui agitent les échanges et relations parents-adolescents. Entretien.

  • lehavre.fr : Comment vous est venue l’idée d’écrire Sexpérience, les réponses aux questions des ados ?

Isabelle Filliozat : Lors de l’écriture de mon avant-dernier livre On ne se comprend plus, un livre sur ce qui se passe dans le cerveau des adolescents et leur comportement. Quand j’écris, je rentre dans le vécu de la personne et j’épluche les études scientifiques. J’ai été effrayée de découvrir leur monde sur le plan de la sexualité. Depuis 10 ans, la place du porno et sa violence sont exponentielles. 22 % des ados ont imité des images. J’ai donc voulu écrire un livre pour ces ados, aussi attirant que le porno, mais avec de vraies informations sur ce qu’ils cherchent.

  • lehavre.fr : Pourquoi avoir fait ce choix d’écrire à deux ?

I.F. : A mon âge et pour ne pas paraître moralisatrice, j’ai écrit avec ma fille, âgée à l’époque de 21 ans, proche de l’adolescence, et en formation de sexothérapeute. A deux, nous allions parler un langage permettant aux adolescents de se reconnaître.

  • lehavre.fr : Pourquoi la sexualité est-elle encore si tabou dans notre société ?

I.F. : La sexualité est du domaine de l’intime et donc secret. On ne se confie pas à n’importe qui. Quand quelque chose reste secret, cela peut sembler honteux. Il y a une confusion entre intime et honte qui renforce la problématique. Notre société est hypersexualisée par toutes sortes d’images qui, sous couvert d’une approche érotique, donnent une image fausse de la sexualité.

  • lehavre.fr : Comment dialoguer avec son ado quand ce n’est pas dans la tradition familiale ou si le dialogue est rompu ?

I.F. : Les parents ne sont pas les mieux placés pour parler de sexualité avec leurs adolescents. Le dialogue ne doit pas porter directement sur sa sexualité. Le rôle de parents est d’apprendre à réfléchir et défendre un point de vue, à muscler leur capacité cérébrale à décider par eux-mêmes. La meilleure solution est d’acheter ce livre et de le laisser traîner pour qu’il s’en serve.

  • lehavre.fr : Si ce n’est pas les parents, vers qui se tourner ?

I.F. : C’est une question fondamentale dans notre société. Nous avons besoin de devenir des communautés éducatives pour nos enfants. On croit que la seule responsabilité est celle des parents. Ils ne peuvent pas tout faire. Par contre, quand on est un membre ou ami de la famille, on peut libérer la parole.

  • lehavre.fr Et le rôle de l’Education nationale ?

I.F. : La loi stipule que les élèves doivent avoir trois interventions par an sur la sexualité et l’affectivité. Les enseignants manquent de formation et ont déjà beaucoup de choses à faire. Malheureusement dans les collèges et lycées, ce n’est pas réalisé car personne ne sait le faire. Le sujet est si délicat qu’il est plus approprié de faire intervenir quelqu’un d’extérieur. Dans cet accompagnement, il y a de vrais liens à tisser avec les associations locales. 

  • lehavre.fr : Un livre à lire à partir de 13 ans. N’est-il pas déjà trop tard ?

I.F. : Hélas oui, c’est vrai (silence). Un enfant sur dix a déjà vu une vidéo porno avant 11 ans. C’est tard certes, mais c’est un âge moyen, celui auquel il est nécessaire et essentiel de donner ces informations, même si quand on est parent, on a toujours l’impression que nos enfants sont encore trop petits. Avant cet âge, les parents doivent prendre conscience des risques. On ne peut plus leur empêcher de voir ces images, ce n’est pas réaliste. Mais il faut être à leur côté car ces images les traumatisent et ils n’osent pas en parler sachant que c’est défendu. C’est nous, parents, qui avons construit cette société effarante d’exposition pornographique. Il faut donc les protéger et les armer pour comprendre ce qu’il voit car quand un enfant est traumatisé par une image, il est contraint d’y retourner pour l’assimiler.

  • lehavre.fr : À partir de quel âge peut-on parler de sexualité à un enfant ?

I.F. : Une approche éducative dès l’école pourrait sûrement être envisagée, mais il ne faut pas précipiter trop tôt un enfant dans un monde qui n’est pas le sien. Plus petit, la priorité n’est pas d’évoquer la sexualité, mais de parler. Parler pour se sentir en confiance et protégé, tisser un lien d’attachement solide, comprendre ses émotions, développer l’empathie, apprendre à dire non, s’affirmer et s’exprimer face aux autres. C’est la meilleure prévention.

  • lehavre.fr : Ne faut-il pas rééduquer notre société aux usages des écrans ?

I.F. : Absolument, c’est un grand chantier. Ayant connu un monde sans Internet, on est encore dans la période de fascination. On commence tout juste à en mesurer les effets négatifs. Il va falloir désormais prendre un tournant.

  • lehavre.fr : Quelle(s) solution(s) ?

I.F. : Il faut donner une nouvelle place à l’adolescent pour qu’il apporte sa contribution à notre société, développe ses talents et ses pouvoirs, s’investisse socialement. Sinon que fera-t-il de son énergie ? Se planter devant un écran qui ne le juge pas, sympathique et donne de la nourriture à son cerveau ? Non !
Aussi, les ados disent: « Mes parents ne s’occupent pas de moi, regardent leur téléphone, leurs réseaux sociaux, mails, etc. ». Les parents doivent réaliser que leur enfant a besoin d’eux, de contacts et de moments privilégiés avec eux.

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